CE, 6 décembre 1855, Rothschild c. Larcher et Administration des postes ▼
Le sieur Louis-Meyer Rotschild, de Londres, a fait assigner devant le tribunal civil de la Seine le sieur Larcher, employé préposé au bureau de la poste restante, à Paris, et M. le directeur général de l'administration des postes, comme civilement responsable, à l’effet de s'entendre condamner solidairement à lui payer la somme de 30 000 fr., pour lui tenir lieu de la valeur de diamants contenus en une lettre à lui adressée, et qui, par l’erreur du sieur Larcher, aurait été remise à un sieur G. Rotschild, autre que le destinataire, et pour l'indemniser du préjudice à lui causé par cette erreur et par la soustraction qui en avait été la suite ;—Un déclinatoire a été proposé par M. le préfet de la Seine, et le tribunal s'est déclaré incompétent par jugement du 15 mars 1855. Ce jugement ayant été infirmé, sur l'appel du sieur Rotschild, par arrêt de la Cour impériale de Paris, le préfet de la Seine, par arrêté du 9 mai 1855, a élevé le conflit d'attribution.
Napoléon, etc. ;
Vu l'arrêté, en date du 9 mai 1855, par lequel le préfet du département de la Seine a élevé le conflit d'attribution dans une instance pendante devant la cour impériale de Paris entre le sieur Louis-Meyer Rothschild, négociant, demeurant à Londres, et, d'autre part, le sieur Larcher, employé à l'administration générale des postes, et le directeur général de l'administration comme représentant l'administration civilement responsable ;
Vu les lois des 16-24 août 1790 ;
Vu les lois du 22 décembre 1789, 17 juillet-8 août 1790 ;
Vu le décret du 26 septembre 1793 sur le règlement des créances contre l'État ;
Vu le décret du 16 fructidor an III et l'arrêté du directoire du 2 germinal an V ;
En ce qui touche la demande du sieur Rothschild contre le sieur Larcher :
Considérant qu'il n'appartient qu'aux tribunaux, sauf l'application de l'article 75 de la constitution de l'an VIII et l'arrêté du gouvernement du 9 pluviôse an X, de connaître des actions dirigées contre les agents de l'administration des postes en raison des faits qui leur sont personnels ;
En ce qui touche la demande du sieur Rothschild contre l'administration des postes tendant à la faire déclarer solidairement avec le sieur comme étant civilement responsable :
Considérant qu'aux termes des lois susvisées les fonctions judiciaires sont distinctes et doivent demeurer toujours séparées des fonctions administratives ; que défenses sont faites aux tribunaux de troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, de citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions, et de connaître des actes d'administration de quelque espèce qu'ils soient ;
Considérant que c'est à l'administration seule qu'il appartient, sous l'autorité de la loi, de régler les conditions des services publics dont elle est chargée d'assurer le cours ; qu'il lui appartient de déterminer les rapports qui s'établissent à l'occasion de ces services entre l'État, les nombreux agents qui opèrent en leur nom et les particuliers qui profitent de ces services ; et, dès lors, de connaître et d’apprécier le caractère et l'étendue des droits et obligations réciproques qui en doivent naître ; que ces rapports, ces droits et ses obligations ne peuvent être réglés selon les principes et les dispositions du seul droit civil et comme ils le sont de particulier à particulier ; que, notamment, en ce qui touche la responsabilité de l'État en cas de faute, de négligence ou d'erreurs commises par un agent de l'administration, cette responsabilité n'est ni générale ni absolue, qu'elle se modifie suivant la nature et les nécessités de chaque service ; que, dès lors, l'administration seule peut en apprécier les conditions et la mesure ;
Considérant, d'autre part, que c'est à l'autorité administrative qu'il appartient (à moins qu'il n'en ait été autrement ordonné par des lois spéciales) de statuer sur les demandes qui tendent à constituer l'État débiteur ; que ce principe, proclamé par le décret du 26 septembre 1793, maintenu et développé par la législation subséquente relative à la liquidation de la dette publique, est devenu une des bases de notre droit public et la règle générale de compétence pour les instances introduites contre l'État, puissance publique, par les particuliers qui prétendent être ses créanciers ; que si, en certaines matières, il a été par des dispositions expresses de lois, dérogé à ses principes, ces exceptions ne sauraient être étendues par voie d'assimilation ou à l'aide de l'analogie ;
Considérant enfin que si le code de procédure civile a réglé les formes suivant lesquelles l'État serait assigné devant les tribunaux civils, ces dispositions, relatives, soit aux instances domaniales, soit à celles pour lesquelles l'État a, par des lois spéciales, été renvoyé devant l'autorité judiciaire, n'ont eu pour but ni pour effet d'attribuer à l'autorité judiciaire une compétence générale et d'enlever à l'autorité administrative la connaissance des questions contentieuses qui lui appartiennent ;
Article 1er. L'arrêté de conflit pris par le préfet du département de la Seine, le 9 mai 1855, est confirmé en tant qu'il revendique pour l'autorité administrative la connaissance de l'action intentée par le sieur Rothschild contre l'administration des postes ; il est annulé pour le surplus.
Article 2. Sont considérés comme non avenus, en ce qui touche l'administration des postes, l'assignation en date 12 février 1855 et l'acte d'appel du 25 avril 1855.
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