CE, 13 juillet 1979, Ministre de la Communication c/ Société Le Comptoir français du film, 13167 ▼
En substance
Les dispositions de l’article 11-V et de l’article 12, alinéa 4 de la loi du 30 décembre 1975, en tant qu’elles confient au ministre chargé du cinéma le soin d’établir une liste des films pornographiques et d’incitation à la violence, sont entrées en vigueur dès la publication de cette loi et sont applicables à tous les spectacles présentant le caractère de films pornographiques ou d’incitation à la violence, quelle que soit la date à laquelle ces films ont été réalisés et alors même qu’ils auraient obtenu les visas prévus par l’article 19 du code de l’industrie cinématographique.
Conseil d'Etat
statuant
au contentieux
N° 13167
Publié au recueil Lebon
2 / 6 SSR
M. Chardeau, président
M. Galmot, rapporteur
M. Genevois, commissaire du gouvernement
lecture du vendredi 13 juillet 1979
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Recours du ministre de la culture et de la communication tendant 1° à l'annulation du jugement du 3 mars 1978 du tribunal administratif de Paris annulant deux arrêtés du secrétaire d'État à la culture du 9 janvier 1976 en tant qu'ils ont inscrit sur la liste des films pornographiques les films "Prostitution clandestine", "Les chatouilleuses", "Plaisir à trois" , "Les théâtres érotiques de Paris", "Les grandes emmerdeuses" et "Le jouisseur" ; 2° au rejet des demandes de la société Comptoir français du film ;
Vu la loi de finances du 30 décembre 1975 ; le code de l'industrie cinématographique ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 ; le décret du 30 septembre 1953 modifie ; la loi du 30 décembre 1977 ; en ce qui concerne l'arrêté du secrétaire d'État à la culture en date du 9 janvier 1976, relatif à la désignation des spectacles visés à l'article 11-v de la loi de finances pour 1976 :
Considérant que cet arrêté présente le caractère d'un acte réglementaire du secrétaire d'État à la culture et relève par suite, en application de l'article 2-4 du décret du 30 septembre 1953 modifié par le décret du 13 juin 1966, de la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort ; que le ministre de la culture et de la communication est dès lors fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 3 mars 1978 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif a statué sur la demande de la société Le Comptoir français du film tendant à l'annulation de l'arrêté dont s'agit ;
Considérant que l'affaire est en état ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Le Comptoir français du film devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant que les décisions prises par le ministre chargé du cinéma, dans l'exercice des pouvoirs qu'il tient des articles 11 et 12 de la loi de finances du 30 décembre 1975, ne sont pas au nombre de celles qui, en raison de leur gravité particulière, ne pourraient être légalement signées par délégation de ce ministre ; que M. Hubert X..., chargé de mission au cabinet du secrétaire d'État à la culture, qui a signé l'arrêté du 9 janvier 1976 avait reçu du secrétaire d'État, par un arrêté du 24 novembre 1975 publié au Journal officiel du 26 novembre, délégation permanente à l'effet de signer, au nom du secrétaire d'État à la culture, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion seulement des décrets ; que la société Le Comptoir français du film n'est dès lors pas fondée à soutenir que l'arrêté du 9 janvier 1976 aurait été signé par une autorité incompétente ;
Considérant que l'arrêté attaqué, qui énonce d'une manière générale et impersonnelle que les films pornographiques ou d'incitation à la violence visés par l'article 11 de la loi du 30 décembre 1975 sont les mêmes que ceux auxquels se réfère l'article 12 de cette loi, n'avait pas à être précédé de l'avis de la commission de contrôle des films cinématographiques ; que la légalité de cet arrêté ne saurait être affectée par les conditions dans lesquelles certains films ont été classés dans la catégorie des films pornographiques ou d'incitation à la violence ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le classement de ces films serait intervenu à la suite d'une procédure irrégulière est inopérant ; qu'il en est de même des moyens tirés de ce que le classement des mêmes films n'aurait pu légalement intervenir avant la publication de règlements d'application des articles 11 et 12 de la loi du 30 décembre 1975 et de ce qu'il aurait méconnu les droits que les producteurs de ces films tenaient des visas d'exploitations qui leur avaient été accordés ; que, par suite, la société Le Comptoir français du film n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué du 9 janvier 1976 ;
En ce qui concerne l'arrêté du secrétaire d'État à la culture en date du 9 janvier 1976, fixant la liste des films pornographiques ou d'incitation à la violence, en tant qu'il porte inscription, sur cette liste, des films intitulés "Prostitution clandestine", "Les chatouilleuses", "Plaisir à trois", "Les théâtres érotiques de Paris", "Les grandes emmerdeuses" et "Le jouisseur" :
Considérant que cet arrêté, dont le champ d'application s'étend au-delà du ressort d'un seul tribunal administratif, relève, en vertu de l'article 2-3 du décret du 30 septembre 1953, de la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort ; que le ministre de la culture et de la communication est dès lors fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 3 mars 1978 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif a statué sur la demande de la société Le Comptoir français du film tendant à l'annulation de l'arrêté dont s'agit ;
Considérant que l'affaire est en état ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Le Comptoir français du film devant le tribunal administratif de Paris ; cons. que M. Gérard Y..., directeur du cabinet du secrétaire d'État à la culture qui a signé l'arrêté attaqué avait reçu du secrétaire d'État, par un arrêté du 15 juin 1974 publié au Journal officiel du 17 juin, délégation permanente à l'effet de signer au nom du secrétaire d'État à la culture tous actes, arrêtés et décisions à l'exclusion seulement des décrets ; que la société requérante n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué aurait été signé par une autorité incompétente ;
Considérant que les prescriptions du décret n° 76-11 du 6 janvier 1976 n'ont pas pour objet de fixer les modalités suivant lesquelles est établie la liste des films pornographiques ou d'incitation à la violence instituée par l'article 11-v et l'article 12, alinéa 4, de la loi de finances du 30 décembre 1975 ; que dès lors, le moyen tiré de l'illégalité prétendue de ce décret est inopérant ; que les dispositions de l'article 11-v et de l'article 12, alinéa 4, de la loi du 30 décembre 1975, en tant qu'elles confient au ministre chargé du cinéma le soin d'établir une liste des films pornographiques et d'incitation à la violence, sont entrées en vigueur dès la publication de cette loi et sont applicables à tous les spectacles présentant le caractère de films pornographiques ou d'incitation à la violence, quelle que soit la date à laquelle ces films ont été réalisés et alors même qu'ils auraient obtenu les visas prévus par l'article 19 du code de l'industrie cinématographique ; qu'ainsi, la société Le Comptoir français du film n'est fondée a se prévaloir, pour demander l'annulation de l'arrêté attaqué, ni de l'absence de dispositions réglementaires précisant la procédure et les critères du classement, ni des droits qu'elle tiendrait des visas d'exploitation qui lui ont été accordés en application de l'article 19 du code de l'industrie cinématographique ;
Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de la loi du 30 décembre 1975, la liste des films auxquels sont applicables les articles 11 et 12 de cette loi est établie par le ministre chargé du cinéma après avis de la commission de contrôle des films cinématographiques ; que cette procédure est identique à celle qu'avait instituée, aux mêmes fins, le décret du 31 octobre 1975 portant aménagement des conditions d'octroi du bénéfice du soutien financier de l'État à l'industrie cinématographique ; que, dès lors, la commission de contrôle, dont l'avis avait été recueilli, en novembre et en décembre 1975, sur le classement des films "Prostitution clandestine", "Les chatouilleuses", "Plaisir à trois", "Les théâtres érotiques de Paris", "Les grandes emmerdeuses" et "Le jouisseur" dans la catégorie des films pornographiques et qui a été consultée à nouveau sur la même question en application des articles 11 et 12 de la loi du 30 décembre 1975, a pu régulièrement, dans sa séance du 6 janvier 1976, se référer aux avis qu'elle avait précédemment émis ; que la société Le Comptoir français du film n'est dès lors pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué serait intervenu à la suite d'une procédure irrégulière ;
Considérant que les dispositions de l'article 12, alinéa 4, de la loi du 30 décembre 1975, d'après lesquelles "le ministre chargé du cinéma communique chaque année au rapporteur spécial du budget de la culture des commissions des finances des deux assemblées et aux rapporteurs pour avis des commissions des affaires culturelles des deux assemblées, avant le dépôt du projet de loi de finances, la liste des films exclus du soutient automatique et sélectif et celle des films admis à ce bénéfice" , n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner la légalité des décisions du ministre chargé du cinéma à la condition que ces décisions soient communiquées aux rapporteurs compétents avant le dépôt du projet de loi de finances ; qu'ainsi, la circonstance, alléguée par la société Le Comptoir français du film, que l'arrêté attaqué n'aurait pas fait l'objet des communications prescrites par l'article 12 de la loi du 30 décembre 1975 est, en tout état de cause, sans influence sur la légalité de cet arrêté ;
Considérant enfin qu'il résulte de l'instruction que les films intitulés "Prostitution clandestine", "Les chatouilleuses", "Plaisir a trois", "Les théâtres érotiques de Paris", "Les grandes emmerdeuses", et "Le jouisseur" présentent un caractère pornographique ; que, dès lors, le secrétaire d'État à la culture a fait une exacte application des dispositions législatives en vigueur à la date de sa décision en classant ces films dans la catégorie des films pornographiques ou d'incitation à la violence ; annulation du jugement ; rejet des demandes.
Analyse
Abstrats : 01-08-01-01 ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - APPLICATION DANS LE TEMPS - ENTREE EN VIGUEUR - ENTREE EN VIGUEUR IMMEDIATE - Loi de finances du 30 décembre 1975 - Dispositions relatives aux films pornographiques.
17-05-02 COMPETENCE - COMPETENCE A L'INTERIEUR DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE - COMPETENCE DU CONSEIL D'ETAT EN PREMIER ET DERNIER RESSORT - Acte dont le champ d'application s'étend au-delà du ressort d'un seul tribunal administratif - Liste des films pornographiques.
49-05 POLICE ADMINISTRATIVE - POLICES SPECIALES - Police du cinéma - Liste des films pornographiques ou d'incitation à la violence - [1] Entrée en vigueur immédiate de la loi du 30 décembre 1975. [2] Légalité non subordonnée à la communication aux rapporteurs des commissions parlementaires.
63-03 SPECTACLES, SPORTS ET JEUX - CINEMAS - Liste des films pornographiques ou d'incitation à la violence - [1] Entrée en vigueur immédiate de la loi du 30 décembre 1975. [2] Légalité non subordonnée à la communication aux rapporteurs des commissions parlementaires.
Résumé : 17-05-02 Compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort pour connaître d'un arrêté du secrétaire d'Etat à la Culture fixant la liste des films pornographiques ou d'incitation à la violence, dès lors que son champ d'application s'étend au-delà du ressort d'un seul tribunal administratif.
01-08-01-01, 49-05[1], 63-03[1] Les dispositions de l'article 11-V et de l'article 12, alinéa 4 de la loi du 30 décembre 1975, en tant qu'elles confient au ministre chargé du cinéma le soin d'établir une liste des films pornographiques et d'incitation à la violence, sont entrées en vigueur dès la publication de cette loi et sont applicables à tous les spectacles présentant le caractère de films pornographiques ou d'incitation à la violence, quelle que soit la date à laquelle ces films ont été réalisés et alors même qu'ils auraient obtenu les visas prévus par l'article 19 du code de l'industrie cinématographique.
49-05[2], 63-03[2] Les dispositions de l'article 12, alinéa 4, de la loi du 30 décembre 1975, prévoyant que le ministre chargé du cinéma communique chaque année à certains rapporteurs des commissions parlementaires, avant le dépôt du projet de loi de finances, la liste des films exclus du soutien automatique et sélectif et celle des films admis à ce bénéfice, n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner la légalité des décisions du ministre à la condition que ces décisions soient communiquées aux rapporteurs compétents avant le dépôt du projet de loi de finances.
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